- TRANS-AVANT-GARDE
- TRANS-AVANT-GARDETRANS-AVANT-GARDEMouvement artistique international d’après guerre, la trans-avant-garde a été conçue et théorisée, pendant les années 1970, par le critique d’art italien Achille Bonito Oliva, autour d’artistes italiens de cette décennie, comme Marco Bagnoli, Sandro Chia, Francesco Clemente, Enzo Cucchi, Nicola De Maria, Mimmo Paladino et Remo Salvadori.Rompant d’abord avec la tradition des avant-gardes fondatrices de la modernité, le théoricien de ce mouvement, comme ses adeptes, a voulu légitimer par un discours esthétisant — privilégiant l’«oblique» et dénonçant l’utopie d’un «centre» idéologique unificateur — le retour au mythe d’un art autonome et «autosuffisant». Cette nouvelle figure du pragmatisme de l’époque du néo-libéralisme se caractérise, selon Bonito Oliva, par le refus du «primat» du politique et du social, l’abandon de toute «éthique privilégiée», l’irrespect à l’égard de tout «engagement effectif». Ainsi les protagonistes de ce mouvement, qui s’est trouvé des équivalents en Allemagne, aux États-Unis et en France, ont contribué à restructurer le marché de l’art contemporain sur la base d’une esthétique consensuelle européano-américaine, fictivement «détachée» de la vie et dépourvue de toute volonté de «salut», et même de tout «esprit d’émulation». Mélange de néo-maniérisme italien et de néo-expressionnisme allemand, mais aussi de nostalgies culturelles liées à d’autres traditions, africaines par exemple, les styles disparates des artistes de la trans-avant-garde ont de surcroît consolidé, dans les milieux intellectuels occidentaux, une même théorie de l’histoire de la modernité, le postmodernisme, selon laquelle la modernité véritable est «épuisée». Dans le domaine de l’art ne peuvent survivre, selon cette théorie, que des métaphores libérées de l’obligation du sens et des signes concomitants de désengagement à l’égard de l’histoire, exprimés le plus souvent sur le mode de la parodie et de la citation, mais toujours avec le souci de dédramatiser les «incurables» conflits auxquels s’affronte quotidiennement l’humanité contemporaine.Le but poursuivi par les artistes de la trans-avant-garde diffère selon les pays où elle s’est manifestée, mais le système médiatique et marchand dans lequel ils se sont inscrits à travers un réseau international de galeries et de collectionneurs-spéculateurs les a rapidement confondus dans un même phénomène de mode, soutenu par le même cartel du marché de l’art. Certains artistes, moins soumis que les autres à cette idéologie de la «catastrophe», de la « discontinuité» et des «dérives marquées par une seule perspective, celle du plaisir mental et physique», ont pu souffrir, du même coup, de l’opération stratégiquement engagée par Bonito Oliva, qui visait à profiter d’une faiblesse dans l’incessant renouveau des avant-gardes américaines, pour tenter d’imposer, après une période de quasi-monopole de l’art américain, le retour de l’Europe sur la scène médiatique, par une forme rénovée d’«art pour l’art», évidemment dépourvue de toute critique du système économique en place.Réussie sur le plan financier — la plupart des artistes de la trans-avant-garde, rapidement promus, ont très vite dépassé les cotes de leurs prédécesseurs des années 1960 et 1970 —, cette opération singulière, où pour la première fois une stratégie esthétique s’est définie à partir des conditions objectives du marché, a commencé à connaître un certain déclin intellectuel au milieu des années 1980, mais il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions durables: les retournements d’intérêt et de désintérêt dans le domaine culturel se sont généralisés et banalisés en Occident depuis la naissance de l’«industrie culturelle», où les œuvres d’art, lancées comme des produits, sont entretenues ou dévalorisées ensuite comme des actions en Bourse. Le réel talent, les capacités de renouvellement de certains des artistes de la trans-avant-garde, qui ont accepté le postulat selon lequel aucune véritable avant-garde, au sens plein de ce mot, ne peut plus surgir dans l’histoire, ne permet pas de condamner à l’avance ce qu’ils pourraient proposer demain, fût-ce en contradiction avec leurs présupposés initiaux. La fidélité à une idéologie, quelle qu’elle soit, n’est pas ce qui les préoccupe, mais un tranquille cynisme peut les inciter à regagner d’autres terrains, s’ils le jugent inopportunément perdu pour eux. Ils auront alors à lutter contre la réputation grandissante des artistes européens des générations qui les ont précédés, et qui leur ont préparé le terrain sans en tirer des bénéfices outrecuidants, par exemple celle de Fahlström, Baruchello, Broodthaers, Erró et Rancillac, qui furent parmi les tout premiers à introduire les images de la bande dessinée dans l’art pictural moderne. Rien ne permet d’affirmer qu’il n’y a pas de justice immanente dans l’histoire de l’art moderne, et que les artistes des années 1960, qui ont renouvelé le concept de modernité au XXe siècle, ne triomphent pas finalement des suiveurs qui ont voulu capitaliser leurs leçons. La «notion de l’art comme catastrophe, comme accidentalité non planifiée», liée à la «catastrophe généralisée de la vie», telle que Achille Bonito Oliva l’a érigée en principe de la trans-avant-garde (in L’Ideologia del traditore , Feltrinelli, Milan, 1976; Antipatia , ibid. , 1987), peut un jour ou l’autre se retourner contre ses adeptes. Cette théorie a influencé, bien au-delà des talentueux artistes qui font partie de ce mouvement, la communauté artistique internationale depuis le début des années 1980 et a suscité, parmi les artistes plus jeunes, le phénomène de rejet qui était prévisible dès sa récupération médiatique. Cependant, l’exposition Transavanguardia de la galerie Gian Ferrari Arte Contemporama de Milan (1992-1993) témoigne de la vivacité du mouvement (Sciamano stupido , 1990, de Mimmo Paladino, ou Testa dell’artista ribelle cosmico , 1989, de Nicola De Maria).
Encyclopédie Universelle. 2012.